La ventilation opérationnelle (VO) est « un art » dont l’efficacité divise les pompiers, c’est ce que j’ai constaté en tant que simple sapeur. Dans cet article, nous nous basons sur l’analyse du feu de la cité radieuse pour vulgariser la VO. Nous en tirons des règles simples pour un désenfumage opérationnel efficace.

L’incendie à la cité radieuse

Un incendie s’est déclaré le 8 octobre 2020 à 16h40, dans un appartement de la Cité Radieuse – aussi nommée maison radieuse. Ce bâtiment, œuvre du célèbre architecte Le Corbusier, est classé « monument historique ». Il se situe à Rézé, près de Nantes. Un total de vingt-cinq pompiers et sept camions de pompiers sont intervenus sur place. Des moyens conséquents ont été mis en place, au vu de l’architecture atypique du lieu.

Les pompiers ont d’abord procédé à une action de refroidissement en façade autour de l’appartement sinistré. Le feu est rapidement éteint une fois localisé par le binôme d’attaque.

Pour bien comprendre l’incendie, nous vous invitons à prendre connaissance du Retour d’Expérience du SDIS de Loire-Atlantique : Feu dans un ERP classé aux monuments historiques sur la plateforme ENSOSP

Schéma de l'incendie (SDIS 44)
Schéma de l’incendie (SDIS 44) – Clément BRECHET

Recours à l’ingénierie sécurité Incendie (ISI) pour optimiser la ventilation opérationnelle

Avant tout : qu’est ce la ventilation opérationnelle ? Simplement, cela consiste à maitriser les fumées. Trois objectifs principaux sont à retenir :

  • Protéger : contenir l’expansion des fumées
  • Désenfumer : disperser les fumées d’une pièce
  • Attaquer : faciliter la progression des pompiers pour accéder au foyer

Le GTO ventillation opérationnelle est le document de référence en la matière! N’hésitez pas à en prendre connaissance.

Lors de l’incendie de la cité radieuse, les services de secours se sont retrouvés confrontés à une faible efficacité du ventilateur pour désenfumer. La question est donc simple : comment disposer les ventilateurs pour évacuer les fumés le plus efficacement possible ?

Le recours à l’ingénierie Sécurité Incendie a permis au Service de Préparation Opérationnelle de comprendre les difficultés rencontrées et d’illustrer la réponse à la question.

Comprendre la ventilation opérationnelle, l’analogie avec la lance incendie

La ventillation opérationnelle en action

Avant de dévoiler le résultat de l’étude, il est judicieux de résumer les phénomènes aérauliques mis en jeu dans une stratégie de ventilation.

Pour avoir une ventilation opérationnelle efficace, il faut comprendre comment alimenter une lance. L’objectif ? Avoir un débit et une pression à la lance permettant une action suffisante sur le feu. Certes, il faut une bonne pompe, mais là n’est pas le secret. Un bon établissement se caractérise par des raccords entre biens habitables serrés ne permettant pas à l’eau de fuiter et l’absence de plis dans le tuyau. Le nombre de tuyaux est annoncé au conducteur pour prendre en compte les pertes de charges.

Dans notre analogie, on comprend aisément que :

La pompe = le ventilateur

Le pli du tuyau = un rétrécissement de section dans le circuit aéraulique, comme une porte mal ouverte par exemple

La longueur des tuyaux = la longueur du cheminement à parcourir. Dans des sections de plusieurs m² comme celle d’un couloir, les vitesses sont relativement faibles et comme pour un tuyau, les pertes de charge sont un paramètre secondaire.

Pourquoi ce qui semble évident avec de l’eau ne l’est pas avec de l’air ? Il s’agit pourtant de deux fluides ! Maintenant que vous avez cette logique en tête, nous chercherons donc avant tout à réduire les rétrécissements section et les fuites d’air.

Une méthode simple pour un désenfumage efficace.

Il est avant tout nécessaire de bien identifier le circuit de l’air. Quelles sont les entrées et sorties d’air potentielles. Dans quel sens souffler ?

Une fois le circuit choisit, on pourra identifier toutes les entrées d’air effectives, qui sont les ouvertures en amont du volume à désenfumer, et les sorties d’air effectives sont en aval de ce volume.

À noter que le ventilateur peut être utilisé en amont ou en aval du volume à désenfumer. En pratique, on privilégiera l’amont, car cela permet au binôme d’évoluer en sécurité dans la veine d’air frais et préserve le ventilateur.

La position optimale du ventilateur est en aval de la dernière entrée d’air. En pratique, on a une bonne chance d’être proche de la meilleure solution quand on se place au contact du volume à désenfumer.

Au contraire, dès qu’une entrée d’air est située entre le ventilateur et le volume à désenfumer, cela provoque une fuite. Le débit de désenfumage diminue d’autant. Ce qui compte, c’est bien le débit d’air qui sort du volume à désenfumer.

Pour bien comprendre, voici ce que cela donnerait en aval

Applicatif à la maison radieuse

L’exemple de la cité radieuse illustre parfaitement notre raisonnement. L’objectif était de désenfumer la circulation après l’extinction réalisée.

La stratégie originelle consistait à placer des ventilateurs en pied des escaliers pour mettre en surpression les cages. Il suffisait ensuite d’ouvrir les portes de chaque niveau pour réaliser le désenfumage. Cette méthode montre ses limites en termes d’efficacité au-delà du troisième niveau.

En pratique la stratégie peut se schématiser ainsi :

Or, en analysant le site, on constate que la cage d’escalier possède de petits hublots qui pour certains sont cassés. Il est par ailleurs possible que la trappe de désenfumage en haut de la cage ait été ouverte.

Le circuit aéraulique comporte donc énormément de fuites et peut être schématisé ainsi :

On comprend donc pourquoi cette disposition était surtout efficace sur les premiers niveaux. Par la suite, il y a trop de fuites et de pertes de charge.

La solution présentant la plus forte efficacité consiste à positionner les ventilateurs en aval des fuites. Le schéma aéraulique devient donc le suivant :

Il n’y a pas besoin de long discours pour comprendre pourquoi le désenfumage du couloir présentait ainsi une bien meilleure efficacité ! Les fuites qui desservaient l’efficacité du désenfumage viennent maintenant la renforcer.

On notera au passage que deux ventilateurs judicieusement placés sont plus efficaces que trois ventilateurs en pied. Le corolaire est immédiat : il est préférable de privilégier une bonne utilisation des équipements plutôt que d’acheter de gros ventilateurs onéreux et encombrants.

Voici les vidéos (vitesse réelle x2) permettant de visualiser l’efficacité du désenfumage dans les deux configurations :

  • jusqu’à 60 sec : remplissage du volume par de la fumée
  • à partir de 60 sec : mise en œuvre de la ventilation opérationnelle (ventiler pour désenfumer)
Désenfumage de la rue 1 : 3 ventilateurs en pied de cage d’escalier
Désenfumage de la rue 6 : 2 ventilateurs dans la circulation

Il ne faut pas hésiter à implanter un ventilateur dans les volumes à désenfumer

Une règle chez les pompiers est de ne pas faire fonctionner de moteur thermique dans un volume clos. La logique sous-tendue est d’éviter l’accumulation de CO dans le volume. Cependant, ce dogme peut être remis en question pour des ventilateurs. La situation est en effet bien différente :

  • Ils sont utilisés dans un milieu déjà riche en CO puisque l’on cherche justement à évacuer les fumées.
  • Le CO émis ne s’accumule pas du fait de l’action du ventilateur : le volume devrait être considéré comme largement ventilé.
  • Les binômes ont à disposition un ARI.

Par ailleurs, la plupart des schémas représentant des stratégies de VO implantent le ventilateur à l’extérieur du bâtiment. À titre d’exemple, voici une illustration du non moins passionnant GTO ventilation opérationnelle. La règle généralement retenue est ainsi d’implanter le ventilateur face à l’accès à une distance équivalente à la diagonale de ce dernier. Cette règle ne devrait pas être appliquée lorsque la configuration présente de longues circulations. Cette règle ne devrait pas non plus être appliquée lorsqu’il y a des volumes intermédiaires entre le ventilateur et le volume dans lequel l’action est ciblée.

La conclusion de notre étude pourrait se résumer ainsi : dans le cadre du ventiler pour désenfumer ou pour protéger, nous encourageons les services de secours à envisager de déployer le ventilateur à l’intérieur des bâtiments.

Comme on l’a vu précédemment, ceci permet d’optimiser l’efficacité du désenfumage. Il reste cependant clair que le ventilateur ne devrait pas se retrouver au milieu du cheminement, au risque d’encombrer le passage.

Un travail plus approfondi devrait être réalisé pour généraliser cette logique au ventiler pour attaquer. Il est en effet possible qu’une déstratification de la fumée s’opère si le flux d’air n’est pas homogène en entrant dans le volume. Il sera donc plutôt conseillé de souffler dans un volume adjacent au volume à désenfumer.

Enfin, la solution du ventilateur électrique devrait être privilégiée surtout pour des raisons ergonomiques que de compatibilité avec l’utilisation en volume clos.

Cet article est issu du travail réalisé par le capitaine Sébastien CARDOU (SDIS 44), Zakaria AYARI (ingénieur incendie à l’écoute du marché 😉 et Ronan NICOLAS (l’auteur de ces lignes) dans le cadre du Master ISI de l’ENSOSP/AMU. Nous vous encourageons à cette occasion tous ceux qui sont intéressés par cette formation à ne plus hésiter pour s’y inscrire !

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