Compost fumant

Les combustions spontanées de biosolides : le cas du compost

Allumer un feu de bois vert est de nature à user certaines patiences. Pourtant, on dénombre de multiples cas de compost s’enflammant sans intervention extérieure. Atossa lève le voile sur ce mystère et vous explique tout ce qu’il y a à savoir sur les combustions spontanées de biosolide : leurs origines, comment les combattre et surtout comment les éviter!

Evolution du nombre de feux de compost

En 2018, le Bureau d’Analyse des Risques et Pollutions Industriels (BARPI) publie une étude sur les incendies dans les activités de compostage des déchets [1] faisant état d’une forte augmentation du nombre d’incendies recensés. Qu’advient-il de cette tendance en 2020 ?

Les recherches ont été effectuées sur la base de données ARIA en croisant les incendies comprenant le mot compost ou compostage. La méthode de recherche est donc plus large que celle adoptée par le BARPI comme le vérifient les chiffres de 2014 à 2017.

Dernier point notable, plus des ¾ des incendies ont pour origine la combustion spontanée. Ceci concorde avec l’analyse réalisée par Rynk & Buggeln (2009).

Origine des incendies de compost entre 2018 et 2019 – ATOSSA

Il semble dès lors pertinent d’analyser les mécanismes favorisant les combustions spontanées.

Attribuer l’origine d’un feu de compost  :
Une combustion spontanée se caractérise par un foyer profond. Si le feu est limité à la surface du matériau, il faudra alors rechercher dans l’environnement des points chauds probables et estimer le taux d’humidité du compost en vue d’associer le feu à un accident. La présence d’accélérant caractérisée par des coulures de brûlé dans le matériau ou des odeurs d’hydrocarbures tendra à associer le feu à une malveillance.

Explication des combustions spontanées du compost

Les piles de compost contiennent de grands volumes de matière organique pour lesquels deux principales sources de chaleur peuvent être identifiées : l’oxydation des matières cellulosiques et l’activité biologique [2]. La première réaction consiste en une génération de chaleur modélisable par une réaction d’Arrhenuis. Ceci implique que plus la température sera haute, plus la vitesse de réaction sera élevée. Ainsi, la génération de chaleur par oxydation est 16 fois plus élevée à 100°C qu’à 60°C. La seconde est la conséquence de la croissance et de la respiration de micro-organismes aérobies, comme des moisissures, des champignons ou des bactéries.

À basse température, l’activité métabolique de la biomasse est la cause principale de l’augmentation de la température de la pile. Entre 70°C et 80°C, certaines protéines essentielles aux micro-organismes se dénaturent causant la mort ou la mise en dormance de ces derniers [3]. L’oxydation des matières cellulosiques devient prépondérante et peut conduire à atteindre une température située entre 150°C et 200°C. Dès lors, une combustion lente peut s’initier au cœur de la pile.

Ces phénomènes physico-chimiques peuvent se produire dans n’importe quel compost, pourtant ce phénomène de combustion spontanée est loin d’être systématique. Il est alors crucial pour l’exploitant de comprendre les conditions de cet emballement thermique. 

La caméra thermique révèle l’activité biologique

Le méthane, une fausse piste :
Un mythe concernant l’origine des combustions spontanées dans les biosolides existe ; celui d’une réaction anaérobie conduisant à la production de méthane pouvant s’auto-enflammer. Cette explication devrait être rejetée, car le flash-point (ou point d’auto-inflammation) du méthane se situe autour de 537 °C. Le feu s’initie entre 150°C et 200°C ; il est dès lors improbable que le méthane soit la cause d’un départ de feu, mais il peut en revanche l’alimenter.

L’échauffement est constaté dès lors que la pile se réchauffe plus vite qu’elle ne se refroidit. Ce refroidissement consiste en une diffusion de la chaleur dans la masse de la pile, qui est ensuite refroidie par l’air frais y pénétrant. L’efficacité du refroidissement dépend du facteur météorologique et des caractéristiques géométriques de la pile.

Le pouvoir refroidissant de l’air dépend de son humidité et de sa température, et il influence notablement le risque de combustion spontanée[4]. Le vent aura pour conséquence une augmentation du débit d’air transitant dans la pile.

La perméabilité à l’air de la pile et sa forme sont des facteurs géométriques sur lesquels un industriel confronté à des piles de biosolides pourra agir. Il sera possible d’augmenter la perméabilité à l’air en palettisant (ou agglomérant) les particules fines[5]. Pour un exploitant d’une installation de compost, il semble que la solution la plus évidente soit de jouer sur la géométrie de la pile. Il faudra donc limiter la hauteur et la largeur de la pile.

Quelles géométries de la pile adopter ?

 Le code de l’environnement donne une première indication en imposant aux exploitants soumis à la rubrique 2780 ( Installation de compostage de déchets non dangereux ou matière végétale) une hauteur maximale de 3 m dès les seuils de déclaration. Les conditions de dérogations à cette exigence semblent cependant indiquer que l’objectif n’est pas la limitation du risque incendie, mais l’absence de nuisance et la garantie de qualité du compost[6]. La littérature semble consacrer une largeur d’environ 4m50 et une hauteur limite d’environ 3m50[7][8]. Cette hauteur constitue une première approche et est facile à estimer sur le terrain si l’on considère qu’il s’agit de la hauteur de deux hommes.

Un dimensionnement plus précis est possible,[9] mais il reste relatif, car il est difficile de modéliser l’influence de la météo, par nature assez variable et dont l’impact réel est assez mal connu. Si ce type d’étude vous intéresse, n’hésitez pas à nous contacter !

L’importance du taux d’humidité

Une autre approche consiste à porter un regard plus précis sur l’humidité de la pile. Le taux d’humidité optimal pour l’activité biologique semble être entre 40% et 70% du poids total selon différents auteurs. Le taux d’humidité propice au développement d’un feu se situe lui entre 20 et 45 % ; au-dessus de ce taux il y a suffisamment d’humidité pour contrôler la température par évaporation, sous ce taux il y a trop peu d’humidité pour que l’activité biologique se développe. À noter que la pluie pourra générer des risques incendie sur des composts secs en réhumidifiant ces derniers[10]. Ceci concerne aussi les composts « matures ». Enfin, une attention particulière devra être portée sur le risque d’hétérogénéité du taux d’humidité au sein de la pile ; des poches sèches peuvent apparaître localement et être le siège d’une combustion spontanée dans une pile a priori non risquée.

Test de la poignée :
Le test suivant est proposé par un exploitant d’un site de compostage suite à un départ de feu sur son site (ARIA – N° 55004) . « Un aliquote frais d’échantillon tamisé est prélevé à la main et écrasé dans le poing. Si l’eau sort entre les doigts, alors l’échantillon est trop mouillé. Si l’échantillon tombe en morceaux lorsqu’on ouvre le poing, alors celui-ci est trop sec. »
Certainement pas infaillible, cette méthode permet à l’exploitant avisé d’estimer rapidement le niveau d’humidité du compost.

La durée de stockage

La durée de stockage conduisant à un risque d’emballement thermique est difficilement caractérisable, car comme nous l’avons vu, cette combustion s’opère lorsque différentes conditions sont réunies. Le temps tend à augmenter la probabilité de leurs apparitions. Il faudra cependant compter généralement plusieurs semaines.  

Échauffement mécanique

Une cause récurrente des feux de compost provient des échauffements des équipements de broyage et criblages. Des dysfonctionnements peuvent dans ces derniers causer l’apparition de points chauds ou d’étincelles qui entrent en contact avec la matière combustible. Ce risque étant localisé, il devrait faire l’objet d’une détection particulière. Le choix de la technologie devra prendre en compte les particularités de l’environnement de l’équipement. On trouvera ainsi généralement de grands volumes fortement empoussiérés et soumis à des mouvements aérauliques importants. En première approche, une détection par caméra thermique ou par 3IR semble les solutions pertinentes. Les équipements choisis devront être équipés d’une fonction de mise en défaut automatique en cas d’encrassement du capteur.

Comment intervenir sur un feu de compost ?

L’analyse des comptes rendus d’incidents sur la base ARIA indiquent une méthode généralement retenue par les SDIS. Elle consiste à étaler la matière en feu puis à y projeter de l’eau. L’objectif est de réduire la température du compost et d’humidifier ce dernier. Cette humidification implique une absorption de l’eau par les fibres et donc un temps assez important. Ceci explique que la stratégie consistant à « noyer » le compost expose à des reprises de feux ; l’eau ruisselle essentiellement en surface et le peu qui pénètre dans la matière le fait selon les chemins les plus simples, faisant apparaître de larges poches sèches. L’utilisation de mousse peut être intéressante à petit dosage pour réduire la tension superficielle de l’eau et faciliter cette infiltration. Son impact sur l’environnement et son coût relativise sa pertinence, a fortiori si la rétention des eaux d’incendie est délicate. L’application d’un tapis de mousse visant à étouffer le feu est inefficace : la mousse ne va pas refroidir la pile et le feu continuera de couver.

Il sera par ailleurs pertinent d’isoler la pile en feu si l’aménagement du site le permet. Toute pile de compost faisant l’objet d’un départ de feu devra faire l’objet d’une surveillance accrue.

Généralisation aux biosolides
Le phénomène de combustion spontanée est commun à diverses matières organiques. Il a pu être étudié sur des tissus imbibés d’huile ou de solvants, dans le foin, le charbon, le bois, les boues de station d’épuration [11]…  Les mécanismes physico-chimiques conduisant à la génération de chaleur sont susceptibles de varier en fonction de la nature du biosolide. Pour autant, les logiques de refroidissement proposées dans cet article restent applicables aux différentes piles de biosolides.

Les conséquences d’un incendie

Les conséquences économiques d’un feu de compost sont généralement réduites du fait de la faible valeur du compost et d’un entreposage en extérieur ou sous des auvents. Les conséquences humaines sont limitées ; ces incendies ont une cinétique faible permettant aux individus de se mettre en sécurité.

Cependant, les départs de feux au niveau des équipements (cribleur en particulier) peuvent mettre hors service ces derniers, stoppant alors la production et nécessitant leur remplacement. Les conséquences sur l’environnement peuvent être notables si la rétention des eaux d’incendie n’est pas assurée.

La sécurisation des sites de compostage

La sécurisation d’un site de compostage ne nécessite pas de gros budgets en équipements de sécurité incendie. Il faudra plutôt privilégier une conception judicieuse du site et des règles d’exploitations rigoureuses.

En exploitation, la règle générale consiste à éviter au maximum les conditions favorables à la combustion spontanée. On retiendra donc qu’il faudra que la hauteur des andins soit inférieure à celle équivalente à deux hommes et que le taux d’humidité devra être maintenu inférieur à 20% ou supérieur à 40%. Le suivi de ce taux devrait être affiné suite à une période prolongée de vent ou de sécheresse. Les andins présentant des taux d’humidité à risque devraient être de volume réduit et régulièrement retournés. Enfin, un nettoyage régulier des installations devrait être assuré, en particulier près des process mécaniques.

Concernant les règles de conception, elles devront permettre de bonnes conditions d’exploitation en fournissant la surface nécessaire pour limiter la taille des piles, absorber d’éventuels surplus et permettre l’étalement des andins en feu. De larges allées permettront l’accès des services d’incendie tout en facilitant l’isolement des foyers. L’installation des équipements de protection incendie (type RIA ou hydrants) devra être judicieusement implantée et protégée mécaniquement des engins de manutention. Une attention particulière devra être apportée à la disponibilité d’un volume d’eau suffisant ainsi qu’à la rétention des eaux incendie. Enfin, la mise en œuvre d’une détection incendie dans les zones à risque d’échauffement mécanique (broyage / criblage) et dans les stockages abrités propices à la combustion spontanée viennent parfaire le niveau de sécurité du site.

Un regard extérieur s’avère intéressant pour s’assurer du bon niveau de sécurité du site. Si vous souhaitez auditer votre site ou vous faire accompagner dans sa conception, n’hésitez pas à nous contacter.

Sources :

1 : Incendies dans les activités de compostage des déchets – BARPI- Mai 2018

2 : Rynk, R., 2000, ‘Fires at composting facilities’, BioCycle Magazine, vol. 41, pp. 54–58.

3 : Rachael Aganetti,  2016, Spontaneous combustion of stockpiles of biosolids

4 : Determining critical conditions for two dimensional compost piles with air flow via numerical simulations, Luangwilai, Sidhu, 2010

5 : Advection and the self-heating of organic porous media, R. Aganetti , A. Lamorlette et al. – 2016

6 : Arrêté du 22 avril 2008 (NOR : DEVP0810090A) article 13

7 : Fire – Compost and Organic Matter – Agri-Facts – Alberta – 2006

8 : A Perfect Storm: Mulch Fire Dynamics and Prevention – www.soilandmulchproducernews.comn

9 : Advection and the self-heating of organic porous media – R. Aganetti , A. Lamorlette, E. Guilbert , D. Morvan , G.R. Thorpe, 2016

10 : Understanding the role of moisture in the selfheating process of compost piles, T.Luangwilai1, H.S.Sidhu1 and M.I. Nelson –

11 : Brieuc Evangelista 2017 Études expérimentales et modélisation du phénomène d’auto-échauffement de bois torréfé en présence de dioxygène : application au refroidissement de plaquettes de bois torréfées. P 34


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *